mardi 31 mai 2011

Scaramouche 1923


Un film de Rex Ingram avec Ramon Novarro, Alice Terry, Lewis Stone et Lloyd Ingraham

André-Louis Moreau (R. Novarro) assiste impuissant au duel qui provoque la mort de son ami Philippe de Vilmorin. Il jure de venger sa mort face à son meurtrier le Marquis de la Tour d'Azyr (L. Stone). Or celui-ci cherche à épouser Aline de Kercadiou (A. Terry), l'amie d'enfance d'André...


En 1923, Rex Ingram adapte le roman de Rafael Sabatini situé durant la Révolution Française. Cet auteur de roman d'aventures est en vogue avec les adaptations successives de The Sea Hawk (1924, F. Lloyd), Captain Blood (1924, D. Smith) et Bardelys The Magnificent (1926, K. Vidor). Ingram a choisi Ramon Novarro, un jeune acteur d'origine mexicaine qui avait déjà joué dans The Four Horsemen of the Apocalypse (1921, R. Ingram) (où il n'était que figurant) et qui avait été révélé au public dans The Prisoner of Zenda (1922, R. Ingram) en Rupert of Hentzau. C'est un choix particulièrement judicieux car Novarro est un acteur sensible et intelligent, tout à fait à même de donner tout son poids au rôle de Moreau. Contrairement au remake de 1952 avec Stewart Granger qui est surtout un film de cape et d'épée tourné vers la comédie, le film d'Ingram est baigné dans l'atmosphère révolutionnaire et se veut nettement plus tragique. Comme toujours avec Ingram, la reconstitution du XVIIIème siècle se veut fidèle jusqu'au plus petit bouton. Et tous les décors respirent l'atmosphère de l'époque avec leurs chemins pierreux et les petites maisons de paysans semblent sortir d'un tableau de l'époque.
De ce point de vue, le film est infiniment supérieur à la production MGM de 1952, technicolorée en diable, mais absolument pas authentique. Les éclairages de John F. Seitz animent ces tableaux avec une utilisation de la profondeur de champ et du chiaroscuro qui n'avait pas son égal en ce début des années 20. Chaque personnage est baigné dans une lumière qui lui donne un relief particulier. Les seconds rôles sont choisis avec une attention particulière. Que ce soit, le Lieutenant du roi obèse qui se lèche les babines ou un Danton plus vrai que nature avec ses cicatrices de la vérole. Visuellement, le film est un régal de tous les instants. Dramatiquement, le film tient parfaitement la route. S'il n'a pas un rythme endiablé, son intrigue suit son cour inexorable alors que la Révolution se fait de plus en plus sanglante.
Les scènes de la Terreur avec sa populace avinée et avide de sang sont parmi les plus belles que l'ont puisse voir. La foule envahit les Tuileries et tue tout sur son passage. Quant à André-Louis Moreau qui ignore tout de ses origines, il devient un membre de l'assemblée révolutionnaire où sa maîtrise des armes fait merveille. Face à lui, le Marquis de la Tour d'Azyr est un aristocrate imbu de sa personne et de son rang. Lewis Stone est parfait dans ce rôle de méchant suave. Moreau découvrira bien tard qu'il est en fait le fils de cet aristocrate haï qu'il a failli tuer en duel. Alice Terry est une Aline fragile comme une porcelaine de Saxe. Au total, ce film d'Ingram est à découvrir d'urgence. Il est certainement sur bien des points une oeuvre supérieure au remake de 1952.

lundi 30 mai 2011

The Magician 1926


Un film de Rex Ingram avec Paul Wegener, Alice Terry, Ivan Petrovich et Firmin Gémier

Margaret Dauncey (A. Terry), une femme sculpteur, a été victime d'un grave accident. Opérée par le Dr Burdon (I. Petrovich), elle devient la proie du mystérieux Oliver Haddo (P. Wegener)...

Ce film de Rex Ingram est une adaptation d'une oeuvre de William Somerset Maughan qui s'inpira de la vie d'Aleister Crowley, un pratiquant de l'occultisme. Rex Ingram travaillait déjà depuis plusieurs années dans son propre studio, près de Nice, qui devint plus tard le Studio de la Victorine. Pour ce film, il utilise abondamment les extérieurs: Paris, Monte-Carlo, Nice et Sospel. Il a rassemblé une distribution internationale impressionnante avec l'allemand Paul Wegener, alias Le Golem, sa femme Alice Terry, le serbe Ivan Petrovich qui apparait dans nombres de ses films ainsi que chez Léonce Perret (qui utilisait les studios d'Ingram) et le grand directeur de théâtre et acteur, Firmin Gémier. On pouvait attendre des merveilles avec de tels noms à l'affiche. Malheureusement, la structure dramatique du film est déficiente. Alors qu'on pouvait espérer une montée en puissance de l'angoisse face aux agissements du sinistre Haddo, joué par Wegener, il n'en est rien. Par contre, comme toujours chez Ingram, il y a un soin remrquable au niveau de l'image et de l'atmosphère. Son complice John Seitz fait des merveilles lorsqu'il photographie le laboratoire de Wegener entouré de cornues et autres instruments.
Le film contient aussi une superbe séquence avec des faunes qui dansent une bacchanale endiablée. Wegener a hypnotisé Alice Terry, sa proie, et lui fait voir cette scène sensuelle et violente pour lui montrer son pouvoir. C'est une scène qui semble sortie de Häxan, mais qui est plus chorégraphiée. Le final du film se situe dans une tour par une nuit d'orage. Le magicien Haddo veut donner une vie à une créature de sa confection en prenant le sang d'une jeune femme blonde, aux yeux bleus, c'est-à-dire Margaret (Alice Terry). Le film se termine par l'explosion de la tour. C'est un avant-goût de la fameuse scène de Frankenstein (J. Whale) qui ne sera réalisé que 5 ans plus tard. On peut penser que cette scène a influencé James Whale pour son film. Pour ce qui est de l'interprétation, Alice Terry est assez impavide, Paul Wegener utilise son visage lourd et massif pour nous faire peur et Ivan Petrovich est simplement décoratif. Il est fort dommage qu'Ingram n'est pas fait l'effort de créer de vrais personnages en développant les caractérisations. Mais, néanmoins, ce très beau livre d'images vaut le coup d'oeil. le film a été restauré récemment et est maintenant disponible dans la collection Warner Archive.

The Red Kimona 1925


Un film de Walter Lang avec Priscilla Bonner, Carl Miller, Tyrone Power Sr. et Theodore von Eltz


Gabrielle Darley (P. Bonner) a tué son amant qui l'avait poussée à la prostitution. Sur le banc des accusés, elle se souvient de sa jeunesse insouciante jusqu'à ce qu'elle rencontre Howard Blaine (C. Miller)...


Ce film social produit par la veuve de Wallace Reid, le célèbre acteur muet qui mourut des suites d'une addiction à la morphine, est le premier film du réalisateur Walter Lang, qui s'illustrera dans un registre fort différent plus tard à la XXth Century Fox. Les films produits par Mrs Reid sont tous à consonnance sociale et se veulent un avertissement pour le public. Malheureusement, ce qui aurait pu être un réquisitoire intéressant contre la prostitution et l'hypocrisie de la société est entâché par un scénario hyper-moralisateur. Il s'agit pourtant d'une histoire vraie. Lors du prologue, Mrs Reid parle directement à la caméra avant d'ouvrir un journal de 1917 où l'histoire de Gabrielle Darley faisait les gros titres. Et c'est d'ailleurs une grosse erreur de la part de la productrice et des scénaristes: ils n'ont même pas pris la peine de modifier le nom de la femme en question. Résultat: la véritable Gabrielle Darley l'attaqua en justice et gagna une forte somme d'argent en dédomagement. En effet, cette femme était maintenant mariée et pensait pouvoir vivre tranquille. Le film bénéficie de l'excellente caractérisation de Priscilla Bonner, qui utilise son beau visage expressif avec intelligence. Mais, hélas, le déluge de moralisation et de sentimentalisme dans les cartons, attenue considérablement son personnage. Le film s'attaque pourtant aux dames de la bonne société qui se donnent bonne conscience en aidant la malheureuse après son acquittement. En fait, ce geste est totalement égoïste et elle ne cherche qu'à faire parler d'elle. Le kimono rouge du titre se rapporte à ce vêtement que revêt Gabrielle avant de recevoir ses clients. Il apparaît colorié au pochoir dans le film. Le film a été réalisé avec un petit budget. Mais, si le scénaio avait été mieux conçu, il aurait eu certainement plus d'impact.

lundi 16 mai 2011

Germinal 1913 (II)


Vous pouvez retrouver ma critique de Germinal ici.

J'ai revu le film hier soir avec le nouveau DVD publié par Pathé. J'en ressors tout aussi enthousiaste que la première fois. C'est le meilleur film de Capellani que j'ai pu voir et un des tous meilleurs films du début des années 10. Les performances de Sylvie et celle d'Henry Krauss sont absolument remarquables. Sylvie donne à sa Catherine Maheu, une réalité et une présence physique incroyable. On croirait voir une actrice des années 20 tant son jeu est dénué d'effets théâtraux (alors qu'elle en venait). C'est certainement son travail avec André Antoine qui lui a donné cette justesse. On sent l'electricité qui passe entre elle et Etienne Lantier (H. Krauss). Lorsqu'il devient pensionnaire chez les Maheu, elle lui sert, le sourire aux lèvres, un verre d'eau alors qu'il refuse le verre d'alcool fort qui lui est proposé. Une franche complicité l'unit au grand et fort Henry Krauss, qui lui aussi habite son rôle avec force et subtilité. La puissance émotionelle du film est intacte après presque 100 ans. On ne peut qu'avoir les larmes aux yeux en voyant la remontée du corps de Catherine de la mine inondée alors que Lantier caresse une dernière fois son bras. La composition visuelle est supérieure aux autres Capellani du coffret. Le tournage dans le Pas-de-Calais nous plonge dans l'univers de Zola et Capellani sait capturer aussi la densité des personnages dans ce paysage minier sur fond de terril. L'arrivée et le départ de Lantier sont parfaitement construits pour suggérer les sentiments qui l'animent. Avec un lent panoramique, on découvre la fosse de mine et les corons. Et la tension ne faiblit pas du début à la fin. Cette nouvelle copie est un nouveau tirage de 2010 teinté. La qualité est superbe. Mais, j'ai été un peu déçue par le teintage rouge qui donne des contours un peu flous (c'est souvent le problème de ce type de couleur) et qui efface un peu les détails des visages. Le pianiste, Maxence Cyrin, qui accompagne tous les films, apporte à Germinal plus de puissance et de sensibilité qu'aux autres films où il reste en retrait. Un film essentiel de l'histoire du cinéma français.
Lantier (H. Krauss) rencontre Bonnemort (Marc Gérard)
Au fond de la mine, Lantier et Catherine (Sylvie)

La fête foraine de Monsou. On remarque que la caméra se promène dans la foule d'une vraie fête foraineavec les acteurs au milieu. De nombreux badauds s'arrêtent pour regarder la caméra.
De G à D: Chaval (J. Jacquinet), Catherine Maheu (Sylvie), Bonnemort (Marc Gérard), Le Maheu (Mevisto), Lantier (H. Krauss) et La Maheude (Jeanne Cheirel).

Le départ de Lantier

dimanche 15 mai 2011

Le Chevalier de Maison-Rouge 1914


Un film d'Albert Capellani avec Paul Escoffier, Marie-Louise Deval, Henri Rollan et Georges Dorival

Durant la Terreur, le Chevalier de Maison-Rouge (P. Escoffier) revient incognito à Paris pour organiser l'évasion de Marie-Antoinette du Temple. Il s'installe chez son beau-frère Dixmer (G. Dorival) et sa soeur Geneviève Dixmer (M.-L. Deval)...

Le roman d'Alexandre Dumas se déroule durant la Terreur comme le Quatre-vingt-treize de Victor Hugo. Comme toujours avec Dumas, on est face à un roman-feuilleton plein de rebondissements avec trahison, complot, se mêlant aux événements historiques. Les personnages sont parfaitement caractérisés par les acteurs qui jouent avec retenue et sensibilité. Au centre du complot, le Chevalier de Maison-Rouge tente de faire évader la Reine de sa prison. Il utilise le manque d'argent de son beau-frère pour le mettre de son côté. Sa soeur Geneviève, épouse malheureuse de Dixmer, est elle prise dans une nasse. Elle doit aider, malgré elle, son frère et son époux, parfois sous la contrainte. Comme toujours chez Dumas quand il traite de la Révolution, il essaie de créer un équilibre entre les révolutionnaires et les royalistes. D'un côté, la Reine enfermée dans sa prison et de l'autre l'honnête Maurice Lindey qui est officier dans l'armée revolutionnaire. Le film offre un mélange de décors avec des toiles peintes et de superbes extérieurs qui offrent des perspectives intéressantes de ruelles humides et insalubres. Les productions contemporaines de la Gaumont sont, elles, toujours tournées en extérieurs. Mais, malgré tout, le film reste passionnant. L'intrigue se déroule avec de nombreux rebondissements qui tiennent en haleine. On tremble en voyant l'un des geoliers qui a intercepté un message destiné à la Reine. Mais, celui-ci laisse le message échapper. Alors que l'on croit que les chances d'évasion s'améliorent, le chien de la Reine se met à aboyer et fait découvrir l'entrée du souterrain. Alors que le roman se terminait mal, le film nous offre une fin heureuse finalement plutôt bien amenée. Les cadrages sont toujours 'théâtraux', en plan large. Mais, le film fonctionne admirablement et on passe un excellent moment.

samedi 14 mai 2011

Quatre-vingt-treize 1914/1921

Un film d'Albert Capellani et André Antoine avec Paul Capellani, Henry Krauss et Philippe Garnier



En Bretagne, durant la révolution, le neveu du Marquis de Lantenac, Gauvain (P. Capellani), devient l'ami de Cimourdain (H. Krauss), un curé qui épouse les préceptes de la Révolution. Durant la Terreur, le Marquis s'exile en Angleterre alors que son neveu devient soldat dans l'armée révolutionnaire...



Ce film commencé en 1914 a été brutalement stoppé lors de l'entrée en guerre. Il sera repris par André Antoine après celle-ci alors que Capellani est indisponible, étant parti aux Etats-Unis. Il est fort difficile de savoir quelles parties du film ont été réalisées par Antoine ou Capellani. Mais, après avoir déjà vu sept films d'Antoine, je ne peux que constater qu'il évite constamment les studios au profit des décors naturels. On peut donc penser que certaines scènes en Bretagne ont de fortes chances d'avoir été réalisées par lui. Le cinéma avait avancé à pas de géants entre 1914 et 1921. Un film qui sort 7 ans après le début de son tournage a de fortes chances d'être totalement dépassé en termes de grammaire filmique. Il faut bien le reconnaître, ce film conserve le style des années 10 avec de grands plans larges et n'a aucun gros-plan, sauf le plan final. Ces différents points posés, Quatre-Vingt-Treize est une oeuvre ambitieuse de 2h45 qui adapte le roman de Victor Hugo avec succès. Les cinéastes réussissent à nous montrer l'évolution des personnages emportés par le tourbillon de l'histoire. La Révolution va être un révélateur des hommes et de leur conscience. Les trois personnages principaux sont tous animés par leur foi et leurs idéaux. La Marquis de Lantenac est lui un royaliste pur et dur qui va rapidement rejoindre les chouans et devenir leur chef. Il agit sans état d'âme et fait fusiller des femmes si nécessaire. Son neveu, Gauvain était d'abord un nobliau oublieux de son environnement jusqu'à ce que Cimourdain lui fasse découvrir Jean-Jacques Rousseau. Cette lecture lui ouvre les yeux et il épouse avec ferveur le nouvel idéal républicain. La troisième Cimourdain est un curé de campagne qui suit dès le début les ideaux révolutionnaires au point de se faire chasser de sa paroisse. Une fois à Paris, défroqué, il rejoint les rangs des décideurs de la Révolution. Dans la deuxième partie du film, le destin de ces trois personnages vont se croiser pour une confrontation sans merci. Et le film réussit à rendre palpable les dilemnes moraux et de conscience de ces trois hommes. Doit-on obéir aveuglément ? Doit-on traiter humainement un ennemi qui dans la même situation vous tuerait ? Gauvain est certainement le plus humain des trois. Il épargne la vie d'une religieuse qui a fait prévenir les Chouans de leur présence. De même, il fait soigner celui qui a tenté de le tuer. Lantenac est le plus rigide. Tuer une femme ou un homme qui a failli ne l'affecte pas. On le croirait totalement insensible, jusqu'à cette scène finale où il revient sur ses pas pour épargner la vie de trois enfants innocents. Cimourdain est lui aussi un individu complexe. Ancien homme d'église, il suit la ligne révolutionnaire sans faillir. Comme Lantenac, il n'hésite pas à utiliser la guillotine. Mais, lui aussi se retrouvera face à sa conscience dans la scène finale. Les séquences tournées en studio souffrent un peu des décors assez médiocres (surtout des toiles peintes) qu'affectionnent Pathé (contrairement à Gaumont qui a toujours privilégié le tri-dimensionnel). Heureusement, une bonne partie du film se déroule en extérieur, ce qui lui donne une respiration nécessaire. Les batailles entre les Blancs et les Bleus se déroulent dans les forêts et les landes et ressemblent à la guerilla.
Le jeu des acteurs est remarquable étant donné qu'ils doivent faire vivre leurs personnages en plan général ou moyen. Même sans gros-plan, on ressent les souffrances de Cimourdain ou de Gauvain. Capellani aimait s'attaquer à des sujets sociaux ou moraux en adaptant Zola et Hugo. Quant à Charles Pathé, il était capable de prendre de gros risques financiers comme en finançant La Roue d'Abel Gance. D'ailleurs, il faut noter que Gance reprendra dans Napoléon la scène entre les trois dieux (Marat, Danton et Robespierre) issue de Quatre-vingt-treize. Si on compare Quatre-Vingt-Treize à La Roue, il est évident que le film paraît daté dans sa construction. Mais, pour un film de 1914, c'est une oeuvre de grande qualité.

vendredi 6 mai 2011

Geneviève 1923


Un film de Léon Poirier avec Laurence Myrga, Dolly Davis, Pierre Blanchar, Thomy Bourdelle et Pierre Eloi

Une vieille servante, Geneviève (L. Myrga), raconte sa vie au poète Lamartine (P. Blanchar). Suite à la mort de sa mère, elle dut s'occuper de sa jeune soeur Josette. Alors qu'elle allait épouser un colporteur, Cyprien (T. Bourdelle), elle dut y renoncer pour ne pas abandonner celle-ci...

Léon Poirier adapte pour la deuxième fois une oeuvre de Lamartine à la suite de Jocelyn (1920) déjà interprété par Pierre Blanchar. Le film a été tourné dans les Alpes et bénéficie du travail remarquable de Robert-Jules Garnier pour les décors. Nous pénétrons dans les intérieurs dépouillés et chaleureux des montagnards du Dauphiné superbement reconstitués. La copie présentée par la Cinémathèque est superbe et permet d'apprécier au mieux les ombres et les lumières de la cinématographie. Malheureusement, cette copie de Geneviève n'a pas été restaurée et il n'y a ni générique, ni cartons d'intertitres. Ayant lu un résumé du film avant de le voir, il m'a cependant été facile de suivre l'intrigue. Geneviève raconte sa vie en une série de flash-backs. Sa vie ne fut qu'une longue série de sacrifices pour sa petite soeur. D'abord, elle renonce à se marier car sa future belle-mère refuse de prendre sa soeur à la ferme. Plus tard, sa soeur Josette ayant grandie (D. Davis), celle-ci est séduite par un dragon Septime de Rivieu (P. Eloi) qui la laisse enceinte. Dès qu'elle a accouché, Geneviève et une vieille sage-femme décident d'abandonner l'enfant devant un couvent. Mais, une loi sévère interdit les abandons d'enfant et la sage-femme est arrêtée. Quant à Josette, elle perd la raison suite à la disparition de l'enfant et meurt. Geneviève va se dénoncer comme étant la mère de l'enfant et part en prison. Quelques années plus tard, elle sort de prison et devient servante. Elle passe de maisons en maisons. Jusqu'au jour où elle est recueillie par Cyprien (T. Bourdelle), celui qui fut son fiancé. Elle devient la servante de la ferme et retrouve son petit neveu qui a été adopté par des gens du pays. Cette histoire très mélodramatique bénéficie d'une très bonne interprétation. De plus, les scènes dans les alpages et les villages de montagne ont un aspect documentaire passionnant. Il semble bien que la plupart de la figuration soit composée de gens du cru. On voit les visages tannés par le soleil des vieilles sous leurs coiffes et les paysans en habit traditionnel. La scène des fiançailles de Geneviève et de Cyprien recrée les us et coutûmes des dauphinois au XIXè siècle. La fiancée arrive montée sur un cheval tirée par le fiancé. Puis, on lui demande de boire un verre d'eau de la fontaine avec son promis ainsi que de partager le pain. S'en suit une grande farandole où tout le village se rassemble pour faire la fête. Les scènes d'intérieur -bien que tournées en studio- sont éclairées comme s'il s'agissait d'une vraie maison. Il y a des ombres puissantes dans ces maisons montagnardes avec leurs toutes petites fenêtres. Laurence Myrga a un rôle écrasant en Geneviève car elle est pratiquement de toutes les scènes. Elle s'en sort plutôt bien dans un rôle tragique qui ne lui permet que peu de variété, à part au début du film lors des fiançailles. Ayant vu le film sans aucun intertitre, je constate que l'intrigue reste limpide malgré l'absence de ceux-ci. C'est certainement le signe d'un film bien réalisé. Léon Poirier a réalisé aussi bien des documentaires (La Croisière Noire) que des fictions (Jocelyn, Narayana). Il utilise la caméra subjective lorsque le récit le demande, mais il ne fait pas partie de l'avant-garde cinématographique de l'époque. Néanmoins, Geneviève est sans aucun doute une oeuvre intéressante du patrimoine cinématographique des années 20.

mercredi 4 mai 2011

A Kiss for Cinderella 1926


Un film d'Herbert Brenon avec Betty Bronson, Tom Moore, Henry Vibart et Esther Ralston

A Londres, durant la première guerre mondiale, Jane (B. Bronson) travaille comme bonne à tout faire chez un artiste Mr Bodie (H. Vibart) qui la surnomme Cinderella (Cendrillon). Jane rêve d'avoir la destinée du personnage du conte...

Cette adaptation d'une piece de James M. Barrie faisait suite au grand succès du Peter Pan (1924) du même Herbert Brenon, qui était sans aucun doute la plus belle adaptation du conte de Barrie. On retrouve Betty Bronson dans le rôle principal après son superbe Peter. Mais, nous sommes dans une atmosphère très différente. Betty est une jeune fille pauvre qui vit dans une minuscule pièce où elle a recueilli quatre orphelines tout en pratiquant de menus travaux pour un penny. Dans ses rêves, elle s'imagine qu'elle aura la destinée de Cendrillon. Barrie donne au conte de Perrault une nouvelle vie comme si il avait été réécrit par Lewis Carrol. On retrouve un prince, une bonne fée, une citrouille, etc. Mais, l'action prend des tours inattendus comme dans Alice in Wonderland. Il y a une sorte de non-sens et de folie douce qui imbite cette histoire. A la cour du roi et de la reine, on met dans la bouche des prétendantes un thermomètre pour mesurer leur vertu ! Le roi et la reine se tiennent debout près de leurs trônes en tenant des poignées comme dans le métro. Herbert Brenon est un cinéaste oublié car il disparut rapidement après l'arrivée du parlant. C'était pourtant un grand metteur en scène qui mérite d'être redécouvert. Son Peter Pan et son Beau Geste (1926) sont tous les deux là pour nous le rappeller. Avec A Kiss for Cinderella, il réalise une féérie délicate et émouvante. Les effets spéciaux sont absoluments superbes : la transformation de la citrouille en carrosse pourrait avoir inspiré Disney (comme Peter Pan d'ailleurs). Les acteurs trouvent la note juste pour leurs personnages qui oscillent en féérie et réalité. Betty Bronson est absolument superbe en délicate créature. Face à elle, Tom Moore est à la fois un bobbie et le Prince Charmant de ses rêves. Je n'ai malheureusement pu voir qu'une très médiocre copie de ce film absolument délicieux. Cette production Paramount mériterait d'être en DVD. Apparemment, dans les années 60, il existait encore une superbe copie teintée de ce film. Elle ne fut pas sauvegardée par les archives qui la possédait. Résultat, il ne reste maintenant que des copies de qualité inférieure (avec en plus un début de décomposition).

lundi 2 mai 2011

The Easiest Way 1931

Un film de Jack Conway avec Constance Bennett, Adolphe Menjou, Robert Montgomery, Hedda Hopper, Anita Page et Clark Gable


Laura Murdock (C. Bennett), issue d'une famille pauvre, travaille comme vendeuse dans un grand magasin. Elle est remarquée par un employé de la société publicitaire Brockton. Elle devient modèle et attire l'attention du patron, Willard Brockton (A. Menjou)...


Ce film de Jack Conway est une adaptation d'une pièce d'Eugene Walter créée à Broadway en 1909. Elle avait déjà été adaptée à l'écran en 1917 par Albert Capellani avec Clara Kimball Young. Cette histoire de femme entretenue pourrait être banale. Mais, le film m'a vraiment emballé par sa fluidité visuelle et l'intelligence de son interprétation. On sait dès la première scène que ce film ne sera pas une énième oeuvre de commande. La caméra se déplace dans le misérable appartement surpeuplé des Murdoch et on découvre le père chômeur, la mère, les filles qui dorment à trois dans un même lit et les deux plus jeunes enfants qui se disputent. Dans ce petit monde, seule Laura (Constance Bennett) travaille et apporte un revenu. Il faut souligner la justesse de l'interprétation de Constance Bennett, qui décidemment a fait de très bons films en ce début des années 30. Quand la chance se présente d'avoir un meilleur emploi dans une compagnie de publicité, elle saute sur l'offre. Elle découvre le monde des modèles publicitaires avec Elfie (Marjorie Rambeau) qui lui apprend à savoir saisir les bonnes occasions. Laura va tout de suite attirer l'oeil du patron, sous la forme du très suave Adolphe Menjou. Elle devient sa maîtresse, sans pouvoir espérer que leur liaison ne devienne jamais légale. Elle profite de ce luxe, et en fait également profiter sa famille. Pourtant sa mère refuse de la revoir car elle considère sa fille comme perdue. Le tournant dans l'existence de Laura sera sa rencontre avec un jeune journaliste Jack Madison, interprété par Robert Montgomery. Il est sans argent, mais il lui propose de l'épouser. Laura va devoir choisir entre ces deux hommes. Le film est d'une grande finesse de détails en nous montrant la vie telle qu'elle est à cette époque pour les 'have not' (ceux qui sont pauvres). Quand, par exemple, Laura ne peut plus payer sa note d'hôtel, on refuse de lui donner la clé de sa chambre. Mais, lorsque Menjou réapparaît pour l'aider, l'employé de l'hôtel comprend que l'argent frais arrive et la lui rend. L'atmosphère du lobby de cet hôtel new-yorkais minable est parfaitement rendu. De même, le style dépouillé Art Déco de l'appartement luxueux de Menjou est d'une élégance remarquable. Face à Constance Bennett, Anita Page joue sa jeune soeur qui va épouser un blanchisseur modeste, mais honnête. Ce dernier est interprété par un débutant nommé Clark Gable. En homme du peuple sans sophistication, il est parfait. C'est la somme de tous ces petits détails qui font le prix de ce film.
Le film emprunte un plan à un chef d'oeuvre de la MGM qui lui aussi montre la vie des gens ordinaires. On retrouve exactement le travelling le long de la façade du gratte-ciel issu de The Crowd (La Foule, 1928) de King Vidor. Ce fragment avait déjà dû se retrouver dans les 'stock-shots' aux archives MGM.La fin du film évite le happy end à tout prix et reste ouverte. Laura retrouvera peut-être le bonheur, mais nous n'en savons rien. Constance Bennett réussit à donner tout le relif voulu à son héroïne. Elle est opiniâtre. Elle essaie de survivre dans un environement hostile. Mais, elle reste généreuse contrairement à son amie Elfie qui refuse de l'aider quand elle est dans une mauvaise passe. Enfin, je ne peux que vous conseiller de découvrir cet excellent film qui est maintenant disponible chez Warner Archive. A noter que ce film avait été tourné simultanément en version française à la MGM avec André Luguet, Lily Damita et Françoise Rosay sous le titre Quand on est belle (1932) par Arthur Robison (voir ci-dessous).

dimanche 1 mai 2011

The Spoilers 1914

Les Pillards

Un film de Colin Campbell avec William Farnum, Tom Santschi, Bessie Eyton et Kathlyn Williams

Roy Glenister (W. Farnum) a acheté une concession pour chercher de l'or en Alaska avec son ami Dextry. Mais, Alex McNamara (T. Santschi) la lui vole grace à ses appuis auprès d'un politicien corrompu à Washington...


The Spoilers est un jalon très important dans l'histoire du western et du cinéma américain. C'est en effet un des premiers films de long métrage (approchant les 2h) produit en Amérique. iI a été produit par la Compagnie Selig Polyscope en 1913 (tournage de juillet à septembre). Il ne sortira sur les écrans qu'en avril 1914 à peu près en même temps que The Bargain (1914, R. Barker) et The Squaw Man (1914, C.B. DeMille), deux autres westerns de long métrage. La Compagnie Selig prend là un gros risque financier avec ce long métrage à une époque où les films américains (contrairement à ceux produits en Europe en 1912-13) n'ont pas encore atteint une telle longueur. Au lieu de tourner en décors naturels, le film est entièrement réalisé en studios en Californie. La reconstitution est soignée et on sent qu'un gros budget a été mis à la disposition des décorateurs. Le scénario du film est basé sur un roman de Rex Beach publié en 1906. Cette première adaptation à l'écran de ce best-seller sera suivie de quatre autres versions: Lambert Hyllier en 1923 avec Milton Sills, Edward Carewe en 1930 avec Gary Cooper, Ray Enright en 1942 avec John Wayne et Jesse Hibbs en 1955 avec Jeff Chandler. Pour le rôle principal du prospecteur Roy Glenister, William Selig engage un acteur de théâtre, William Farnum qui vient de se faire un nom en jouant Ben-Hur sur les planches. Il est amusant de constater que presque au même moment William S. Hart, qui a lui aussi joué dans la version théâtrale de Ben-Hur le rôle de Messala, va faire ses débuts triomphants dans le western avec The Bargain. La comparaison n'est certainement pas en faveur de William Farnum qui est loin d'avoir le charisme de l'autre William. Il parait assez emprunté, voire un peu théâtral par moment. The Spoilers commence par une série de 'tableaux vivants' nous présentant les personnages et les acteurs du film. The Bargain reprend d'ailleurs le même procédé. Le film se déroule sur fond de ruée vers l'or en Alaska, avec ses villes champignons, ses gredins et ses héros. Les situations du film réapparaitront pendant plusieurs décennies dans une multitude de westerns. Il ne faut donc pas oublier que en 1913, ces situations n'étaient pas encore des clichés. Du point de vue narratif, le film semble avancer par saccades. Colin Campbell est loin d'avoir la fluidité narrative d'un Griffith ou d'un Reginald Barker qui font montre à l'époque d'une toute autre technique. Un autre point noir du film sont les intertitres. Ceux-ci nous annoncent une situation quelques minutes avant qu'elle ne survienne, coupant tout suspense et toute surprise. De plus, on nous indique le nom du personnage avec les dialogues. Il semble que le producteur et le réalisateur n'avaient guère confiance en l'imagination et l'intelligence des spectateurs. D'ailleurs, ces intertitres sont très confus et il m'a fallu une bonne dizaine de minutes pour parfaitement intégrer l'intrigue du film. Une fois le film lancé, on suit avec intérêt les aventures de Roy Glenister. Il est spolié de sa mine d'or par une bande d'escrocs, mais il va tout faire pour la récupérer. Il est de plus amoureux de Helen Chester (B. Eyton) qui ignore tout des agissements douteux de son oncle. On oppose à cette belle ingénue, la fille de saloon, Cherry Malotte interprétée par Kathlyn Williams. Le jeu des acteurs dans l'ensemble est naturel et détendu.
On remarque Tom Santschi, qui sera plus tard à l'affiche de Three Bad Men (1926, J. Ford) qui joue un méchant tranquille et sournois, machouillant négligemment son cigare. Le film comporte plusieurs scènes spectaculaires qui feront les beaux jours des grosses productions à venir. On fait exploser une mine et le film se clot par une bagarre à poings nus entre le méchant et le héros. Il est fort dommage que les cadrages de Campbell accentue une certaine claustrophobie des plans. Nous sommes certes en studios, mais, l'absence de grands plans larges n'arrange rien. La grammaire filmique de Campbell est encore primaire. Il suit chronologiquement le récit, mais, il ne sait pas articuler son récit dans le temps et l'espace. On observe une succession de scènes qui ne s'emboîtent pas parfaitement alors que dans The Bargain, par exemple, on est déjà face à un western parfaitement construit. On a l'impression d'un serial qui aurait été monté à la hâte. Le cinéma américain de 1913 n'avait encore atteint le niveau artistique des meilleurs films européens (français, danois, suédois et russes). Mais, il va faire un pas de géant avec The Birth of a Nation dès 1915. Il semble y avoir un monde entre ce film de Campbell et le film révolutionnaire de Griffith. Il ne s'est écoulé pourtant qu'un an entre ces deux productions. Malgré ces défauts, il faut reconnaître que The Spoilers a des qualités. La reconstitution soignée de l'Alaska (sans neige) est très réussie et les acteurs se fondent parfaitement dans le décor et leurs personnages. On n'a pas chercher à embellir le décor, comme on le fera plus tard. Les acteurs paient de leur personne, sans l'aide d'une doublure. Bessie Eyton se jette à l'eau toute habillée depuis un bateau. Et, Farnum et Santschi se battent à mains nues sans trucages. Dans l'ensemble, un film pas totalement achevé stylistiquement mais qu'il faut voir pour mesurer l'évolution rapide du cinéma américain en 1914.