vendredi 30 septembre 2011

Das Weib des Pharao 1922


La Femme du pharaon
Un film d'Ernst Lubitsch avec Emil Jannings, Paul Wegener, Harry Liedtke, Dagny Servaes et Albert Bassermann

Théonis (D. Servaes), une esclave grecque, est enlevée par Ramphis (H. Liedtke). Mais, tous deux sont capturés par les soldats du pharaon, Amenes (E. Jannings) pour avoir approché son nouveau palais du trésor. Amenes, tombé follement amoureux de Théonis, lui demande de l'épouser en échange de la libération de Ramphis...

C'est l'avant-dernier film d'Ernst Lubitsch réalisé en Allemagne avant son départ pour Hollywood. Pour cette production colossale, on lui a donné de grands moyens humains (des centaines de figurants) et des décors gigantesques qui pourraient rivaliser avec une production biblique de C.B. DeMille. Comme dans la plupart des grandes productions historiques allemandes de Lubitsch, les acteurs pratiquent un cabotinage particulièrement outrancier. Emil Jannings roule des yeux et s'agite ; Paul Wegener nous fait des grimaces sous sa perruque bouffante et son maquillage noir ; Harry Liedtke bat l'air de ses bras. Quant à l'héroïne, Dagny Servaes, elle se contente de regarder le ciel en croisant les mains avec un air douloureux. Il est évident qu'Ernst Lubitsch leur a demandé spécifiquement de jouer leur rôle de cette manière théâtrale et outrée. Si vous regardez Sumurun (1920, E. Lubitsch), le grand Ernst y joue également de cette manière, probablement héritée du théâtre de Max Reinhardt. Ce n'est que bien plus tard, en Amérique, qu'il adoptera un style de jeu plus épuré pour ses acteurs. Le scénario signe Hans Kräly (un des grands complices de Lubitsch) et Norbert Falk contient les clichés habituels du péplum égyptien, un peu entre Aïda et Die Sklavenkönigin (1924, M. Kertész alias Curtiz). Cependant, on suit l'histoire de cette belle esclave qui fait des ravages dans le coeur des hommes avec intérêt. Tout d'abord, il y a la superbe cinématographie de Theodor Sparkuhl qui joue de l'ombre et de la lumière avec raffinement. Il travaillera plus tard avec Renoir pour La Chienne (1931) et à la Paramount. La nouvelle restauration est un vrai festin pour les yeux avec ses teintages et virages chatoyants. Et puis, il y a la superbe partition originale d'Eduard Künneke qui a été reconstituée par Frank Strobel. La musique allemande des années 20 est celle du post-romantisme chatoyant et flamboyant de Richard Strauss. Künneke offre un écrin luxueux à cette histoire égyptienne en donnant à chaque personnage des thèmes et des couleurs qui leur apportent une vie intérieure qui serait invisible sans la musique. La flamboyance de la musique est en parfaite harmonie avec le jeu 'opératique' des acteurs. Je crois bien que sans elle, j'aurais pouffé de rire plus d'une fois. Au total, une super-production de luxe qui se laisse regarder avec plaisir.

lundi 19 septembre 2011

La Croisière Noire 1926


Un film de Léon Poirier

En 1924, André Citroën organise une traversée du continent africain, par les colonies françaises, sur huit autochenilles. Cette expédition, nommée Haardt Audoin-Dubreuil, a une portée plus politique et coloniale qu'une simple publicité pour la robustesse des voitures Citroën. Lors du départ, on embarque le cinéaste Léon Poirier avec son opérateur, Georges Specht. Ce dernier est un vétéran du cinéma. C'était l'un des collaborateurs favoris de Léonce Perret à la Gaumont dans les années 10. Durant huit mois, ils vont traverser les déserts, la brousse et la forêt tropicale. Dans ces années 20, la France coloniale est à son apogée et elle veut montrer au grand public l'immensité de son empire ainsi que la (soi-disant) puissance civilisatrice qu'elle apporte aux africains. Le film est certainement teinté du paternalisme et des préjugés raciaux de l'époque. On part découvrir des 'peuplades étranges' ainsi que les animaux qui peuplent les plaines et les forêts. Le film est dédié à la 'jeunesse française', ce qui en dit long sur les intentions des commanditaires. Néanmoins, le cinéaste fait l'effort de filmer toutes les tribus dans chaque ville, village ou forêt. On nous montre leurs danses rituelles en utilisant parfois le ralenti pour nous permettre d'apprécier la grâce du mouvement des femmes. Ce n'est pas vraiment encore de l'ethnologie car le regard est vraiment condescendant. Le voyage lui-même est impressionnant par sa longueur, par la variété des terrains et des paysages rencontrés. On passe du désert du Sahara, de sable ou de pierre, pour arriver au fleuve Niger. On descend alors le fleuve jusqu'à Niamey avant de partir vers le Lac Tchad à l'est. Ce lac ressemble à une mer intérieure par sa dimension. Après une traversée du Congo belge, ils partent vers le Mozambique, à travers une dense forêt tropicale, d'où ils prennent le bateau vers Madagascar (une carte détaille ici leur voyage). L'ensemble des colonies françaises a donc été couvertes par ce voyage. Chaque arrivée dans une ville est soigneusement mise en scène avec déploiement de troupes au grand complet. En chemin, on organise des safaris où on tue, sans retenue, gazelles, lion, hippopotame, girafes... Des scientifiques sont embarqués pour ramener des échantillons au Museum d'Histoire Naturelle. La conception de la connaissance animale de l'époque semble se limiter à tuer et dépecer. On tue aussi des gazelles pour nourrir les gens de l'expédition. Quant au regard sur les africains eux-même, il est assez proche de celui que l'on réserve à une espèce différente des européens. La rencontre avec une tribu pygmée est particulièrement impressionnante. Un petit homme, d'une agilité incroyable, se meut parmi les lianes et les arbres. Je n'ai pu m'empêcher de songer au Mowgli du Livre de la Jungle. On découvre leur habitat en feuilles sous l'épaisse canopée de la forêt tropicale. Une autre tribu, en Afrique de l'est (probablement une colonie anglaise), a conservé un style vestimentaire et décoratif sur leurs huttes qui rappellent les motifs de l'ancienne Egypte. Le massacre des hippopotames dans l'eau est également hallucinant. On leur tire dessus, ils coulent. Il faut attendre le lendemain matin que leurs cadavres ré-émergent pour pouvoir les sortir de l'eau avant de les tronçonner avec une scie et une hache ! Au total, même si la réalisation de Léon Poirier n'est guère imaginative, le documentaire se voit avec beaucoup d'intérêt. Mais, il lui manque la qualité narrative et de suspense que savent apporter Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack à Grass (1925). En tous cas, c'est un film qui mérite d'être étudié pour connaître cette France colonialiste des années 20.

vendredi 2 septembre 2011

Intruder in the Dust 1949


L'Intrus
Un film de Clarence Brown avec Juano Hernandez, Claude Jarman Jr., David Brian et Elizabeth Patterson

Dans une petite ville du Mississippi, Lucas Beauchamp (J. Hernandez), un fermier noir, a été arrêté pour le meurtre d'un blanc. Toute la population se rassemble autour de la prison pour organiser son lynchage. Mais, le jeune Chick Mallison (C. Jarman Jr.) va trouver Lucas avec son oncle avocat John Stevens (D. Brian). Il part la nuit pour déterrer le cadavre du mort et récupérer la balle qui l'a tué...

Avec cet Intruder in the Dust, Clarence Brown rappelle à ceux qui l'aurait oublié qu'il est bien plus qu'un simple 'studio director'. Embauché à la MGM en 1926, il est le réalisateur des stars maisons telles que Garbo et Crawford. Mais, en 1949, avec l'arrivée de Dory Schary comme producteur, les films MGM deviennent progressivement plus sensibles aux problèmes raciaux et sociaux de l'Amérique. Clarence Brown produit et réalise un plaidoyer anti-raciste sur un scénario de William Faulkner qui tranche avec ses films de pure divertissement. Le film est entièrement tourné à Oxford (Mississippi) la ville où habite William Faulkner. Il y a un désir d'authenticité et de sobriété remarquable à tous les niveaux dans ce film. Tout d'abord, il y a le personnage central Lucas Beauchamp, interprété avec dignité et charisme par le portoricain Juano Hernandez. Le cinéma américain de l'époque ne nous a pas habitué à voir un homme noir qui montre une telle fierté dans l'adversité. Alors qu'il est amené menottes aux poignets jusqu'à la prison devant une immense foule d'hommes blancs, il conserve sa dignité et toise du regard cette foule hostile. Il secoue même la poussière de son chapeau tombé à terre avant de la remettre. Vêtu comme un gentleman farmer, Il s'avance ignorant les regards haineux. Il possède une propriété et cultive sa propre terre et n'a pas l'intention de se laisser humilier. Cependant, il sait que ses chances de prouver son innocence sont faible. Aux yeux de la population, il est noir et forcément coupable. C'est sans compter le jeune Mallison (un Claude Jarman Jr. à l'air de petit oiseau effrayé) qui va tout faire pour l'aider. Les rapports en Mallison et Beauchamp sont d'ailleurs teintés d'une ambiguité étonnante. Il a rencontré Lucas après être tombé dans un trou d'eau gelé et celui-ci lui a offert l'hospitalité. Il a refusé toute aumône après ce beau geste. On sent un mélange de crainte et de gratitude chez cet adolescent blanc, élevé dans une famille du cru. Il va partir dans une expédition dangereuse la nuit tombée en compagnie du fils noir d'une domestique et d'une vieille dame excentrique Miss Habersham, jouée par la vétérante Elizabeth Patterson. Partis pour déterrer le cadavre de la victime, ils trouvent une tombe vide. A partir de ce moment-là, son oncle avocat commence à croire à l'innocence de Lucas.
Ce bled perdu du Mississippi est rempli de personnages illettrés et racistes qui tueraient père et mère pour de l'argent. Le vieux Ned Gowrie (Porter Hall) est manchot, mais il a un pistolet caché dans sa chemise qu'il reboutonne systématiquement après l'avoir rangé. Il est le père du mort, lui aussi à la recherche du meurtrier. Tout ce petit monde nous replonge dans cette Amérique du sud profond qui vit encore comme au siècle dernier. Clarence Brown choisit une sobriété totale dans ce récit, sans jamais chercher d'effets de manche. Mais, les images en disent plus qu'un long discours. Il suffit de voir la cohue des voitures qui convergent vers la ville dans l'attente du lynchage qui apportera un 'divertissement' bienvenu, comme une sorte de fête foraine. La vieille Miss Habersham réussira à empêcher le lynchage de Lucas en se plantant devant la prison avec son tricot. Les forcenés reculent face à sa détermination. Brown évite toute sensiblerie ou sermon. Il montre simplement la couardise de ces 'justiciers'. Lucas sera finalement innocenté. Et il tiendra encore à payer son avocat, même une somme symbolique, pour conserver sa dignité d'homme. Il faut ajouter un mot sur la très belle photo noir et blanc de Robert Surtees, que l'on associe pas forcément au cinéma de Brown, mais qui se révèle un excellent collaborateur. Voilà un très grand film de Brown qui prédate de plus de treize années To Kill a Mockingbird et qui est, à mon avis, bien supérieur au film de Mulligan, par son propos et sa mise en scène. Le film est maintenant disponible dans une copie restaurée de toute beauté chez Warner Archive, sans ST. Attention, l'accent traînant du sud n'est pas toujours facile à comprendre. Mais, le film mérite qu'on fasse un effort.