mercredi 28 mars 2012

Carmen 1926


Un film de Jacques Feyder avec Raquel Meller, Louis Lerch, Gaston Modot et Victor Vina

Don José (L. Lerch) a tué un homme par accident. Il quitte son village natal de Navarre pour Séville où il s'engage dans les dragons. Il rencontre la gitane Carmen (R. Meller) qu'il doit arrêter après une dispute dans la fabrique de cigares où elle travaille...

J'avais vu ce film de Jacques Feyder il y a plusieurs années lors d'une projection à la cinémathèque. Faute de mieux, le film était accompagné par un pianiste qui tentait de paraphraser la partition orchestrale originale de Ernesto Halffter Escriche, composée pour la sortie du film en 1926. Le résultat n'était guère convaincant. J'ai donc été ravie de pouvoir revoir le film avec la partition orchestrale reconstituée tel qu'il avait été diffusé sur Arte en 2002. Lorsque Feyder se lance dans ce projet en 1925-26, il décide de tourner le film en extérieurs en Espagne et le sud de la France. Il part même en repérages avec Lazare Meerson son décorateur. Le résultat est visuellement splendide. Feyder capture la nature sauvage espagnole avec autant de flair que les montagnes suisses dans Visages d'enfants (1923). Ce film produit par la Compagnie Albatros dirigée par le russe Alexandre Kamenka a été conçu pour mettre en valeur Raquel Meller dans le rôle-titre. La belle espagnole jouit d'une grande popularité en France dans les années 20. Elle a tourné trois films avec le talentueux Henry-Roussell, dont Violettes Impériales (1923) et La Terre Promise (1924). C'est elle qui demande que Jacques Feyder soit choisi pour mettre en scène le film. Hélas, le tournage tourne au conflit. En effet, la conception que se fait Raquel Meller du personnage de Carmen est pour le moins spéciale ! Elle veut être considérer comme vertueuse et elle s'exclame lorsque Feyder lui rappelle la nouvelle de Mérimée: "Mais je me fous de ce M. Mérimée ; d’ailleurs, où habite-t-il, ce Mérimée ? Je vais lui téléphoner !" Il est évident qu'à l'écran sa Carmen ne ressemble pas du tout à celles qui l'ont précédé dans le rôle. Pola Negri et Geraldine Farrar sont des créatures séductrices en diable qui enjôlent leur Don José avec forces oeillades. Raquel Meller est nettement moins démonstrative. Je n'avais pas été très convaincue lors de la première vision du film par sa performance. Cette fois-ci, je suis moins négative. Après tout, Carmen peut être interprétée de façons différentes comme le font les cantatrices dans l'opéra de Bizet. Meller est moins enjôleuse, mais on devine néanmoins un caractère bien trempé sous cet air buté. Et la scène de la mort est une belle réussite. Au milieu des arbres, elle fait face à José sachant le sort qui l'attend. La direction d'acteurs est excellente comme pour tous les films de Feyder. L'autrichien Louis Lerch est un bon Don José qui évite les excès. Dans les seconds rôles, il faut noter l'excellent Gaston Modot dans le rôle du contrebandier borgne (avec une Carmen tatouée sur la poitrine!). Feyder avait eu la bonne idée de commander une partition originale à un jeune compositeur espagnol, élève de Manuel de Falla et de Maurice Ravel, Ernesto Halffter Escriche. Il a produit une partition impressionniste sans tomber dans le cliché de la couleur locale espagnole. Il donne sans aucun doute au film un cachet tout à fait spécial, qu'une réduction au piano ne peut absolument pas capturer. Vu la longueur du film (165 min), cette musique est absolument indispensable pour l'apprécier pleinement. La restauration numérique (teintée et virée) réalisée en 2001 est absolument splendide et m'a parue meilleure que la copie 35 mm que j'avais vue précédemment. Au total, cette Carmen mérite notre attention par sa splendeur visuelle et la qualité de sa musique originale.

vendredi 23 mars 2012

L'équipage 1928


Un film de Maurice Tourneur avec Georges Charlia, Jean Dax, Pierre de Guingand, Claire de Lorez et Daniel Mendaille

1917, le jeune aspirant Herbillon (G. Charlia) rejoint une escadrille où il accepte de faire équipe avec Maury (J. Dax) que tout le monde rejette. Il découvre plus tard qu'il connaît la femme de Maury, la belle Denise (C. de Lorez) qu'il a rencontrée durant un bombardement à Paris...

Ce film de Maurice Tourneur est sa première oeuvre française depuis son retour des USA. Or, Maurice Tourneur avait quitté la France en 1914 ; on lui reprocha sa désertion lors de son retour. Il décida donc d'enlever son nom du générique. La copie présentée par la cinémathèque était incomplète et ne comportait même pas de générique. Le film devait dépasser les deux heures ; il n'en reste que 100 min. Cependant, la narration restait compréhensible. Cette adaptation du roman de Joseph Kessel s'intéresse à la destinée d'un groupe d'aviateurs de la première guerre mondiale. Certes, le sujet est rebattu avec tous les films qui ont tournés à cette époque et un peu plus tard. L'intrigue se recentre sur les deux personnages principaux, le jeune aspirant Herbillon (joué par Georges Charlia qui fut le partenaire de Louise Brooks dans Prix de beauté en 1930) et le capitaine Maury (Jean Dax). Leur amitité se cimente dans le cockpit de leur avion lors de leurs dangereuses missions bien qu'ils soient très différents. On peut seulement regretter que les intertitres soient trop bavards et fassent avancer l'action plutôt que l'image elle-même. (Il faut cependant tenir compte du fait que le film est probablement amputé d'une bonne demi-heure). Mais, Tourneur réussit néanmoins à donner une identité aux principaux aviateurs. Pierre de Guingand, qui extrêmement raide dans Au bonheur des dames (1930) de J. Duvivier, est ici bien plus à sa place en capitaine soucieux de ses hommes. Daniel Mendaille, arborant force cicatrices au visage et une bordée de médailles sur la poitrine, est un de ces pilotes casse-cou sans peur. Tourneur introduit aussi un élément comique avec les soldats et les mécanos qui peuplent l'aérodrome de l'escadrille. Et puis, il y a les prises de vue et les combats aériens. Il faut bien l'avouer, il ne sont pas au niveau du Wings (1927) de William Wellman. Il manque un élément de risque et de panache. Il faut dire que Wellman a fait prendre des risques considérables à ses acteurs principaux en les faisant manoeuvrer eux-mêmes la caméra dans leur cockpit. Il reste donc l'amitié virile de ces hommes qui savent qu'ils ne vivront pas vieux. Charlia incarne avec talent ce jeune homme déchiré dans son amitié pour Maury qu'il trahit avec son épouse. Le personnage féminin est totalement sacrifié et Claire de Lorez n'a presque rien à faire, contrairement au remake parlant de 1935 où Annabella devient un personnage central. La photo du film devait avoir un cachet tout à fait spécial quand on sait que le chef opérateur était Léonce-Henri Burel. Malheureusement, la copie qui nous est parvenu est extrêmement médiocre, rayée, sans contraste et granuleuse. Dans l'ensemble, L'équipage ne fait pas partie des meilleurs films de Tourneur, mais il contient ici et là quelques belles scènes. Je pense en particulier au crash au sol de l'avion de Pierre de Guingand. L'avion reste planté, debout, avant de retomber en même temps que le pilote, mort.

lundi 12 mars 2012

William S. Hart (1865-1946)

William S. Hart est sans aucun doute un personnage central dans l'évolution du western à l'écran. Et pourtant, à première vue, cet acteur de théâtre né à Newburg (New Jersey) qui débuta au cinéma à l'âge de 49 ans, n'avait  apparemment rien d'un westerner. Mais, la lecture récente de ses mémoires My Life East and West, publiées en 1929, a levé le voile pour moi sur un personnage hors du commun qui connaissait l'ouest comme personne.

William Surrey Hart (et non pas William Shakespeare Hart comme le faisait croire quelque publicitaire créatif !) est bien né sur la côte est des Etats-Unis d'un père meunier qui construit des moulins à meule de pierre dans les grandes plaines du Middle-West, le long des rivières. Nous sommes à la fin du XIXème siècle et les fermiers commencent tout juste à s'approprier les plaines fertiles de l'ouest pour y faire pousser ce que Hart appelle l'or blanc (le blé). Les indiens viennent de perdre leurs territoires et ils se sédentarisent bon gré mal gré. A côté d'une maison en bois, ils érigent un tipi comme un dernier vestige de leur vie nomade. Les relations entre eux et les quelques fermiers qui peuplent les plaines ne sont pas mauvaises et le jeune William passe son enfance à jouer avec les petits enfants Sioux de son âge. Il ne va pas à l'école car ils sont dans des zones où il n'y en a pas encore. Il court pieds nus dans les bois avec les petits indiens et va à la pêche ou la chasse avec eux. Il n'y aura jamais chez lui de sentiment de supériorité face aux indiens. Ils les considèrent comme ses égaux et apprend même leur langage. Cette vie au grand air dans la nature sauvage semble idyllique. Elle ne l'était pas, loin s'en faut. La vie est extrêmement dure pour la famille Hart. En hiver, lorsque les fleuves gèlent, les moulins ne tournent plus et la famille meurt de faim. Sa mère donne naissance à de nombreux petits frères et soeurs qui meurent au berceau. Il n'y a aucun médecin à proximité. On ne peut qu'appeler une vieille indienne qui connaît les remèdes traditionnels. Hart raconte d'ailleurs avec émotion l'enterrement d'un petit frère. Ils sont loin de tout cimetière et ils enterrent l'enfant près d'un fleuve: "Et ainsi, au-dessus du Mississippi qui commençait son long voyage de plusieurs milliers de kilomètres vers la mer, à côté d'un chariot bâché, avec son couple de boeufs la tête baissée, dans un petit cercueil ordinaire fabriqué par mon père, un tout petit frère qui venait à peine de naître, fut placé dans les bras de terre pour son repos éternet."

Hart a la chance de découvrir les Black Hills (Dakota du Sud) avant la bataille de Little Big Horn (1876). Ce territoire est encore la propriété des indiens lorsqu'il arrive avec son père qui tente de les intéresser à la construction d'un moulin. Ce sera en vain. Mais, le petit Bill est d'une grande aide pour son père avec sa connaissance la langue Sioux. Puis, le jeune Bill va travailler chez un fermier qui l'exploite en le faisant labourer ses champs du lever au coucher du soleil pour une maigre pitance. Lors de son séjour chez ce fermier, il relate un incident qui semble sorti d'un western. Réveillé au milieu de la nuit, l'enfant grelottant dans une chemise de nuit doit chevaucher à bride abattue pour aller chercher son père et empêcher ainsi un lynchage. Il doit monter sur un cheval à demi-sauvage qui l'a déjà jeté à terre. Il arrive couvert de sueur à destination après des heures de chevauchée. Il y aussi des souvenirs plus amusants tel que le jour où son père lui a offert une paire de bottes. Il est tellement fier d'avoir enfin une vraie paire de chaussures en cuir qu'il court sur la glace d'un fleuve pour la montrer à ses amis indiens. Hélas, il a oublié le trou dans la glace qu'ils ont percé pour pêcher et il tombe directement dans l'eau glacé. Repêché, il rentre penaud chez lui avec ses bottes maintenant totalement fichues. Il est terrorisé en pensant à la réaction de son père. Mais, celui-ci finalement renonce à le châtier et lui commande une autre paire.

W. S. Hart en Messala en 1899
Il a douze ans lorsque cette vie aventureuse cesse. Il repart vers l'Est avec sa mère et ses soeurs. Il a d'abord du mal à s'intégrer car on le considère comme un petit indien. Puis, il doit travailler car la famille n'a toujours pas de revenus réguliers. Il grandit et s'intéresse au théâtre. Il est d'abord engagé dans des troupes itinérantes comme second rôle. La vie est encore très dure avec des revenus qui suffisent à peine pour vivre dans des hôtels miteux. Petit à petit, il monte les échelons et commence à se faire connaître. Un jour, il découvre une pièce française qui vient tout juste d'être créée à Paris et qui est un énorme succès. Il pense avoir trouvé la poule aux d'oeufs d'or, car grâce à une lacune dans la loi américaine, il est possible de monter une pièce étrangère sans payer de droits pour peu qu'elle ait été publiée sur papier. Mais, un linguiste le décourage... la pièce est trop française lui dit-il. Hart vient de laisser échapper Cyrano de Bergerac. Heureusement une autre opportunité se fait jour: il est choisi pour jouer Messala dans la toute nouvelle production théâtrale de Ben-Hur à New York. 

Le scénariste C. Gardner Sullivan
Le grand tournant de sa carrière arrive en 1914 quand Thomas Harper Ince, qu'il a connu acteur famélique comme lui, lui propose faire des films à Inceville en Californie. Il tourne d'abord deux courts-métrages de deux bobines sans intérêt. Hart avait déjà vu des westerns dans des Nickelodeons et ils les avaient trouvés extrêmement mauvais. Il a maintenant une chance de montrer ce qu'il peut faire, lui, sur le sujet. Le résultat sera The Bargain (1914, Reginald Barker), son premier long métrage, qui marque le départ d'une carrière qui va s'épanouir jusqu'à 1925, l'année de sa retraite définitive des écrans. Il insiste pour que les costumes des personnages soient crédibles et part tourner en extérieurs. Mais après ce premier film, Ince ne lui propose pas de contrat. Il repart à l'Est déconfit. Mais, Ince réalise rapidement son erreur: The Bargain est un énorme succès. Hart revient à Inceville et y restera longtemps, alternant films de 2 bobines et longs métrages. Il a sa propre unité avec son caméraman Joe August, deux excellents scénaristes (C. Gardner Sullivan et J. G. Hawks), ses cascadeurs et son décorateur. Mais, au bout de quelques années, Hart se rend compte qu'Ince lui paie un salaire minuscule comparé aux bénéfices qu'il engrange. Il va donc quitter le studio pour celui de Zukor où il est assuré d'avoir un contrôle artistique total sur ces films avec sa propre unité de production. Il est comme Chaplin, Pickford et Fairbanks sont propre maître et responsable à 100%  de ses films. Cette belle liberté créatrice va disparaître peu à peu vers le milieu des années 20. Les studios veulent reprendre le contrôle artistique. Ils ne veulent plus d'artistes-producteurs-réalisateurs. Hart ne peut pas accepter ce contrôle et prefère quitter pour de bon le cinéma. En 1925, il tourne Tumbleweeds (1925, K. Baggot) qui sera son dernier film. 
Tournage de Selfish Yates (1918). Hart est au centre
et Joe August est sur le praticable.
En 11 ans, William S. Hart a tourné plus de 70 films. Un grand nombre sont parvenus jusqu'à nous. Il est un personnage mythique de l'écran qui, le premier, a su composer la légende de l'ouest. Certes, il utilise les clichés victoriens qui venaient du théâtre. Mais, ses films ont pris une pâtine et restent des oeuvres remarquables de l'histoire du cinéma. Son personnage a un charisme évident et il a su donner à son jeu (bien avant John Wayne, Gary Cooper et Clint Eastwood) le naturalisme et le dépouillement nécessaire. Grâce au savoir faire des scénaristes qui composent des scripts superbement écrits et aussi grâce à Joseph August, Hart a composé des films qui bien au-delà du westerns restent parmi les oeuvres le plus innovantes du cinéma des années 10. Le style de ses mémoires révèlent un homme d'une grande franchise, sensible et attachant. Le langage est délicieusement suranné et humoristique comme celui des meilleurs intertitres de C. Gardner Sullivan. 
Vous pouvez lire sur ce blog, les critiques de The Bargain (1914), The Aryan (1916), The Cold Deck (1917), The Silent Man (1917) , Blue Blazes Rawden (1918), The Toll Gate (1920), Tumbleweeds (1925).

dimanche 11 mars 2012

Rafter Romance 1933

Un film de William A. Seiter avec Ginger Rogers, Norman Foster, Robert Benchley, George Sidney et Laura Hope Crews

A Greenwich Village, Mary Carroll (G. Rogers) loue un petit appartement à M. Eckbaum (G. Sidney). Etant sans la sou et en retard dans son loyer, celui-ci lui propose de 'partager' l'appartement de Jack Bacon (N. Foster) au grenier car ce dernier travaille comme gardien de nuit...

Ce film RKO fait partie de la série 'Lost and Found' qui a été publiée en DVD en 2008. Cette comédie signée William A. Seiter se révèle être un film fort réussi, combinant un aspect social et comique avec talent. Ginger Rogers y joue une employée d'un centre d'appel. Elle passe la journée à tenter de vendre des réfrigérateurs par téléphone sous le regard légèrement libidineux de son chef, joué par l'humoriste Robert Benchley. Comme ses finances sont à zéro, elle se voit forcer par son logeur (George Sidney, un spécialiste des rôles ethniques juifs) à partager un appartement avec un artiste également désargenté. Le malheureux Jack est poursuivi par une vieille dame fortunée (toujours alcoolisée) interprétée par une Laura Hope Crews impayable. Quant à Mary, elle doit subir les avances continuelles de son chef. Le film appartenant à la période Pre-Code, il contient son lot de séquences 'coquines' où l'on voit Ginger de se déshabiller révélant qu'elle ne porte guère qu'une écharpe en guise de chemisier. Mais, bien au-delà, le film fonctionne admirablement grace à sa récréation du quartier de Greenwich Village avec ses petits cafés et ses pensions meublées. Il y a aussi de tous petits détails qui montrent l'excellent travail du scénariste. On voit par exemple le fils idiot du logeur juif en train de dessiner des croix gammées sur un mur provoquant la fureur de son père. Nous suivons les employés de la firme où travaille Mary partir pour un pique-nique comme celui que l'on voit dans The Crowd (1928, K. Vidor) qui montre l'ambiance d'une époque. Evidemment, Mary et Jack tomberont dans les bras l'un de l'autre après s'être joué des tours pendables. Une comédie très rythmée et fort bien interprétée.